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Père Bandelier

“Il a souffert sous Ponce-Pilate”
Les commentaires du père Alain Bandelier sur “la Passion du Christ”, le film de Mel Gibson

Votre avis sur ce film ?
C’est un film extraordinaire.

Malgré tout le mal qu’on en dit ?
Vous savez, on donne beaucoup la parole aux gens qui disent tout le mal possible du film et du réalisateur. On entend moins ceux qui sont bouleversés et qui disent que, de tous les films sur Jésus, c’est celui-là qui les a mis vraiment en face du Christ.

L’épiscopat lui-même a un jugement très négatif sur cette œuvre.
Le communiqué d’une Commission épiscopale mérite attention et respect. Mais ce serait méconnaître les règles de la Conférence épiscopale que de considérer ce texte comme un décret engageant tous nos évêques. Personnellement, je l’avoue, je regrette cette prise de position, qui a l’air de dicter aux chrétiens leur conduite et leur pensée, alors qu’il s’agit d’un domaine contingent, où la sensibilité, la culture et l’histoire de chacun tiennent une grande place. J’ai trouvé plus sage la réserve du Saint Siège, qui n’a voulu ni condamner ni promouvoir. Et puis il y a un risque dans cette prise de parole, c’est que logiquement elle en appellerait d’autres. On ne comprendrait pas en effet que nos pasteurs se battent à propos d’un film, et se taisent sur des sujets bien plus graves, et qui ne manquent pas : les dérives éthiques dans la société, les dérives doctrinales dans l’Église – et cela, ce n’est pas du cinéma.

Il y a dans ce film une extrême violence. Cela ne vous gêne pas ?
Quand je lis le déchaînement des critiques, qui font feu de tout bois, quitte à énoncer un certain nombre de contre-vérités, je me dis qu’il y a plus de violence autour du film que dans le film. Qu’est-ce qu’on attendait ? une Passion bien gentille, pour passer un moment agréable ? Les hasards de la programmation ont fait qu’à une séance à laquelle j’assistais nous avons eu droit aux bandes-annonces successives de Monster, Fenêtre secrète, Kill Bill 2 et La mémoire du tueur : quatre films hyper-violents, avec en prime ce commentaire : « une frénésie de vengeance dans un univers de violence ! »

Justement, c’est ce qu’on reproche à Mel Gibson : de noyer l’évangile dans ce climat malsain et morbide.
Ceux qui disent cela n’ont rien compris. La violence qui s’étale sur nos écrans joue sur les nerfs, c’est une violence virtuelle, fascinante, à tel point qu’elle devient mimétique. La violence de la Passion est d’une toute autre nature ; d’accord, c’est du cinéma, et on a beaucoup ironisé sur l’hémoglobine ; mais le film parle d’une histoire réelle ; il rend témoignage à une violence historique, et plus encore à une violence spirituelle, une violence radicale qui est dans l’homme, en vous comme en moi. Devant ce spectacle, je vous garantis que vous n’avez pas envie d’en rajouter, bien au contraire. Mais plutôt de vous frapper la poitrine, comme c’est écrit dans saint Matthieu.
Le soir même de la sortie du film, nous avons pu voir aux actualités ces Irakiens qui ont tiré sur quatre civils américains, brûlé leurs voitures, et traîné dans toute la ville leurs corps calcinés en hurlant de joie. Vous ne croyez pas qu’il y a un mal abyssal ? Et que c’est cette folie que Jésus est venu assumer ? ou encaisser, diraient des jeunes. Mais pour nous en délivrer. Sur ce point je me sens plus proche de René Girard que de Jean Delumeau : on peut nier le péché originel et enseigner que l’Église a trop longtemps culpabilisé les gens ; il n’empêche que la culpabilité n’est pas une invention de l’Église, elle fait partie de notre condition humaine.

Ce film n’est-il pas quand même trop culpabilisant, en particulier pour les juifs ?
Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, la première fois que j’ai vu la Passion, dans la version américaine, je suis tombé des nues. Le film que je voyais ne ressemblait vraiment pas à celui dont j’avais entendu parler. En réalité il y a deux films. Le film réel et le film imaginaire. Pendant des semaines des gens qui n’avaient pas vu le film ont commenté des commentaires. Et c’est cela qui est resté. On se bat contre un film qui n’existe pas. La question de l’anti-judaïsme, qui revient sans cesse, même chez nos évêques, est caractéristique. Dès le début, au jardin des Oliviers, on voit Malchus, serviteur du Grand Prêtre, dont Pierre a blessé l’oreille, fasciné par le Christ. Et à la fin, plus le chemin de croix avance, plus la foule juive se révolte contre la torture infligée à l’innocent. En tout cas je trouve très offensant, aussi bien pour les chrétiens que pour les juifs d’aujourd’hui, de laisser entendre que nous serions assez idiots pour voir dans le récit de la Passion de quoi alimenter l’antisémitisme. Ou alors il faut interdire la lecture de l’évangile le Vendredi Saint !

Le Sanhédrin en tout cas n’a pas le beau rôle.
Encore une chose que tout le monde répète et qui est fausse. Quand l’interrogatoire commence chez Caïphe, il y a une violente opposition de Nicodème et de Joseph d’Arimathie, qui disent que le procès est un scandale, que les dépositions se contredisent, que c’est « un horrible simulacre » ; ils se font jeter dehors, bien sûr. Sur ce point, je trouve Mel Gibson assez génial. Ce que montre la première heure de son film, c’est le type même du procès politique et de la pensée unique, qui fonctionnent par intimidation et propagande. Il n’avait pas prévu que son film serait victime de procédés analogues, ce qui au fond est plutôt bon signe. Mais il faudrait quand même que quelques uns aient le courage de Nicodème.
Je voudrais préciser une chose, à propos du Sanhédrin. Au temps du Christ, il est composé de 71 membres. Il n’y a pas que les quatre familles des grands prêtres, il y a les représentants de l’aristocratie (les Anciens, dont parle l’évangile) et les scribes, recrutés parmi les pharisiens. Cela fait du monde ! Ceux qui l’ignorent sont choqués de voir tant de monde dès le début du procès, parce qu’ils ont en tête l’image d’un tribunal moderne.

Dans le film, les grands prêtres viennent narguer Jésus au pied de la croix. C’est excessif, il semblerait que ce ne soit pas historique.
Qu’est-ce que vous en savez ? Les trois évangiles synoptiques en témoignent. Ils rapportent les injures de la foule, mais aussi celles des chefs des prêtres. Si vous êtes bien informé, vous savez qu’il y a un seul grand prêtre en titre, en l’occurrence Caïphe, plus ou moins manipulé par son beau-père Anne. Matthieu et Marc parlent des chefs des prêtres, c’est-à-dire des grandes familles sacerdotales qui siégent au Sanhédrin. Luc, de culture grecque, n’entre pas dans ces détails et dit simplement les chefs. Qu’ils surveillent l’exécution n’a rien d’étonnant. Ce sont les mêmes qui conduiront Étienne à la lapidation quelques années plus tard.

On dit que la haine du Sanhédrin est incompréhensible ; elle paraît démente, parce que le film ne raconte pas ce qui s’est passé avant, et qui pourrait expliquer cette opposition.
Cette thèse est diffusée dans les milieux catholiques. Je la trouve inacceptable. Mel Gibson annonce un film intitulé la Passion. Il n’a pas annoncé la vie de Jésus. Quand vous écoutez la Passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, cela ne commence pas à Noël ! et vous n’allez pas réclamer quelques Alléluia pour terminer sur une note de résurrection ! Car c’est l’autre reproche qu’on fait à Gibson : il manquerait le récit des apparitions, pour dire que Jésus est ressuscité. Comme si un auteur n’était pas libre de choisir son sujet. D’ailleurs la liturgie fait pareil : l’office du Vendredi Saint se termine dans la nudité et le silence. En outre, entre nous soit dit, filmer les apparitions est une gageure impossible. Ou bien l’acteur réapparaît comme avant, ou bien vous mettez à contribution les effets spéciaux : dans tous les cas vous trahissez le mystère.
Cela dit, Mel Gibson a bel et bien le souci de faire apparaître les raisons du conflit entre Jésus et les grands prêtres. Ceux qui ne l’ont pas remarqué étaient distraits, ou bien ils ont regardé la version américaine et sont aussi médiocres anglicistes que moi. À deux reprises, chez Caïphe puis devant Pilate, il ajoute aux accusations citées dans les évangiles d’autres motifs, pris dans d’autres passages, comme le non-respect du sabbat, le refus de l’impôt, l’expulsion des démons par le pouvoir des démons, et surtout l’enseignement de doctrines trompeuses. En contrepoint, à plusieurs reprises, des témoins disent son innocence. On voit bien que l’enjeu est d’être pour ou contre Jésus.

Mais les spectateurs français vont-ils comprendre ? Ils sont dans l’ensemble très ignorants des choses de la foi. Ils risquent de ne voir dans ce film que son côté spectaculaire.
C’est une tendance assez commune aux journalistes et aux enseignants (je suis un peu l’un et l’autre) : ils pensent qu’ils comprennent et que les autres ne comprennent pas. Lisez dans les journaux les échos recueillis à la sortie des cinémas. Ils ne sont pas si bêtes que cela !
Et puis il faudrait croire un peu à la Parole de Dieu et à l’Esprit Saint. Une page d’évangile, ou même une seule ligne, peut bouleverser une existence. La Passion, quelle page ! C’est cela qui a converti la grande Thérèse d’Avila : une statuette du Christ aux outrages, représenté avec l’intensité dont est capable l’art espagnol, dans un couloir du couvent ; elle l’a subitement « vu ». Relisez saint Paul : la Croix était le point de départ de la prédication primitive. Avec la résurrection, bien sûr. Mais le fait même de parler du Crucifié 2000 ans après sous-entend sa victoire. C’est ce que dit la lettre aux Galates, selon une traduction qui bouleversait l’âme missionnaire du père Loew : « Pauvres fous de Galates, vous avez eu sous les yeux l’affiche de Jésus Christ crucifié. »
Qu’est-ce qui est le plus pastoral ? Faire chorus avec les sages et les savants pour détourner le grand public d’une rare occasion de rencontrer le visage du Christ, doux et humble de cœur ? Ou essayer de rejoindre et d’accompagner ces hommes et ces femmes, ces jeunes surtout, qui vont voir ce film : ils n’iraient pas le voir sans une secrète attente.

Ils verront les tortures du Christ, mais verront-ils son amour ? Or ce n’est pas la souffrance qui sauve, c’est l’amour.
Attention à ces formules un peu sommaires. Si l’amour pouvait sauver le monde, cela ce saurait. On n’a pas attendu Jésus-Christ pour essayer d’aimer et de changer le monde. Le salut que l’Ancien Testament attend et que le Nouveau Testament proclame, c’est le pardon des péchés, le changement des cœurs, la résurrection des morts. Et là, on est au-delà des bonnes intentions et des bons sentiments. Il faut une recréation, une régénération. Dieu seul peut accomplir une œuvre pareille. Mais cette œuvre doit s’accomplir dans la chair, dans l’épaisseur de l’histoire, « sous Ponce-Pilate » comme dit le Credo chrétien. Voilà ce qui est crucial au sens fort : la rencontre du plus haut amour et de la plus terrible détresse. Je crois que Gibson a su montrer les deux. Enlevez l’un des deux, vous tombez dans le roman rose ou dans le roman noir. Seule la Croix peut rendre l’espoir aux damnés de la terre, à commencer par le bon larron.

Il ne faut pas oublier la résurrection.
Oui, les théologiens contemporains insistent beaucoup sur les deux faces inséparables du mystère pascal. Mais relisez saint Paul, ce n’est pas la résurrection qui nous sauve, c’est la Croix. La résurrection, celle du Christ et la nôtre, est elle-même un fruit de la Passion. Je ne dis pas qu’elle n’est pas importante. Au contraire, la glorification du Fils par le Père atteste la vérité, la beauté, la fécondité de son sacrifice, sa victoire sur le mal et sur la mort, la réalité du salut. Mais tout s’est joué au Golgotha. Jésus le dit en mourant : « Tout est accompli. »

On comprend que notre société a-chrétienne (comme disait Péguy) et parfois anti-chrétienne oppose une sourde résistance au message subversif de l’évangile. Plusieurs témoignages convergents me font penser que des consignes ont été données (par qui ?) pour saboter le lancement du film : dans plusieurs salles Gaumont, les caissières essayaient de dissuader les clients : « Vous savez, c’est en araméen, on ne comprend rien, et c’est très violent. » Un technicien coupait le générique de la fin et le remplaçait par une puissante musique rock !
On comprend moins qu’à l’intérieur de l’Église des pasteurs et des docteurs soient à ce point négatifs. Je ne dis pas que tout le monde doit aimer le film. Mais qu’on ne dise pas non plus qu’il faut le détester. Dans un journal qui s’appelle La Croix, et qui cite La Vie, on peut lire que ce film est anti-chrétien : cela a un petit air d’anathème et d’autodafé assez inattendu. Les jeunes que je connais n’ont pas été déchristianisés à leur retour de la projection, bien au contraire ! Un de leurs camarades, qui n’avait plus la foi, est allé le jour même se recueillir dans une église.

Le film est-il fidèle à l’évangile ?
Je ne dirai pas comme Pilate « qu’est-ce que la vérité ? » mais on peut se demander qu’est-ce que la fidélité, pour un auteur qui s’engage dans un projet artistique, et tout particulièrement cinématographique. Je note que des censeurs lui reprochent d’ajouter au récit évangélique des scènes apocryphes ou imaginaires (comme le voile de Véronique) et qu’ils lui reprochent en même temps d’être fondamentaliste (injure à la mode dès que vous affirmez la réalité historique des événements dont témoignent les évangélistes). Il paraît que « avoir foi au Christ, c’est renoncer à mettre la main sur son historicité. » Cela manifeste à mon avis moins les problèmes de Mel Gibson que ceux des exégètes. Le Jésus de Gibson n’est pas un fantôme, ça c’est sûr !
Mon sentiment est que la Passion est d’inspiration johannique. Des signes peuvent l’indiquer : la violence du débat (il court tout au long du quatrième évangile), la présence de Marie et de Jean, l’insistance sur l’hésitation de Pilate, le coup de lance d’où jaillissent le sang et l’eau (ce à quoi Télérama n’a rien compris). Mais c’est surtout le balancement johannique entre voir et contempler que je retrouve chez Mel Gibson.

C’est-à-dire ?
Vous m’interrogez sur la fidélité. Elle est double. D’une part il y a une épaisseur matérielle, humaine, charnelle du film. Charnelle et sanglante : je comprends que pour certains cela soit presque insoutenable.

Comme les vingt minutes que dure la flagellation ?
Encore une erreur. Quelqu’un l’a dit et tout le monde le répète. J’ai chronométré cette séquence, elle dure dix minutes, et encore : la caméra ne reste pas tout le temps sur le supplice, elle parcourt les visages des gens : les soldats, les badauds, les disciples. Cela reste très dur, c’est vrai. Mais vous savez que les juifs ne donnaient que 39 coups, car à partir de 40 le condamné pouvait mourir. Les romains n’avaient pas de limite. Sur le linceul de Turin, on dénombre plus de cent coups, de quoi mourir deux fois ! Peut-être que Gibson en fait trop, pour aboutir à l’image induite par le psaume 22 : « Je suis un ver, non pas un homme » – moi-même je ne suis pas d’accord avec la flagellation qui recommence sur le devant du corps ; cela aurait été une mise à mort immédiate. Ce qui est certain, c’est que Jésus a été terriblement massacré et démoli pendant ces heures, puisqu’au milieu de l’après-midi il est déjà mort, alors que la crucifixion était une torture calculée pour durer des heures, voire des jours. On l’abrégeait en rompant les jambes : tant qu’elles soutenaient le corps, elles sauvegardaient un minimum de respiration.

Comment interpréter cette violence de Gibson ? C’est peut-être le regard du spectateur qui en décide : voyeurisme, ou réalisme, ou contemplation. Je vous rappelle que c’est au temps de saint François et de saint Dominique, époque d’un grand renouveau évangélique, qu’on a commencé de représenter la réalité sanglante de la Croix. Une chose est de savoir que Jésus a souffert, autre chose est de le « voir ». Il y a donc ce réalisme, tout au long du film. Il faut accepter de suivre Jésus. Je ne dis pas que tout s’est passé comme Gibson se le représente et nous le représente. Mais c’est bien « quelque chose comme ça ».

Il y a des erreurs, néanmoins.
Bien sûr ! On peut penser par exemple que les clous étaient enfoncés dans les poignets et non dans les paumes, même si l’évangile ne le précise pas, et on peut critiquer d’autres détails de ce genre. Personnellement, c’est surtout le choix des extérieurs que je n’aime pas. Le film a été tourné en Sicile. Cela donne à Jérusalem un air de cité médiévale bien trop monumentale, et le Calvaire devient une montagne. Remarquez, au plan symbolique, après tout, c’est un choix défendable ; c’est le choix des peintres de la Renaissance.
On peut s’étonner aussi que Marie-Madeleine fasse mémoire de la scène où l’on veut lapider la femme adultère. Tout le monde attend plutôt la pécheresse aux pieds de Jésus chez Simon. En réalité, ce ne serait pas un meilleur choix, car l’évangile ne fait le rapport ni avec l’une ni avec l’autre. Ce qui compte, bien sûr, c’est le geste du relèvement, tellement riche de sens.

Vous parliez d’une double fidélité…
L’autre fidélité, c’est celle du regard contemplatif, du regard intérieur. Et là je trouve que les critiques ne rendent pas justice à Mel Gibson. C’est vraiment le regard d’un croyant. Certains qui se donnent des airs de cinéphile trouvent qu’il abuse des ralentis. Mais c’est beaucoup plus qu’un procédé ou que de l’esthétisme. C’est une rupture volontaire du feu de l’action : au fond, ce n’est pas un film d’action, qui vous tient en haleine et vous empêche de penser. Au contraire, il vous arrête régulièrement, c’est comme une invitation à sortir de l’histoire et à entrer dans le mystère.

C’est aussi la fonction des flash back, ces brèves scènes de l’enfance, ou de l’enseignement sur la montagne, ou du repas du Jeudi saint. J’en ai compté onze. On dit qu’ils sont trop brefs. Encore la nostalgie de Zefferelli, et de son Jésus de Nazareth si bien léché ! Moi, je les trouve très bien vus (sauf les images de l’enfance, apocryphes et sentimentales), très en situation. De même quelques versets bibliques, sur les lèvres du Christ ou de Marie : chaque fois, une parole de confiance ou d’offrande. La plus belle ? un verset de l’apocalypse que Jésus murmure à Marie, quand elle le rejoint pendant le portement de croix : « Mère, voici que je fais toutes choses nouvelles. » Cela contredit formellement une critique que j’ai lue plusieurs fois : ce « massacre » que subit Jésus serait la négation de l’amour et de la liberté avec lesquels il fait le don de sa vie. J’ai même lu qu’on aimerait entendre cette parole : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » Le comble, c’est qu’elle est deux fois dans le film ! Une fois textuellement dans l’évocation du Bon Pasteur (cette référence au milieu du chemin de Croix est sublime) et une autre fois dans le rappel de la Cène : « pas de plus grand amour que de donner sa vie. »

Il faut encore mentionner le regard de Marie, présente du début à la fin. L’actrice est extraordinaire, avec un mélange d’intensité et d’effacement. Ce regard invite lui aussi à ne pas rester à la surface de l’image. C’est d’ailleurs la dernière image de la Passion : la Piéta, qui regarde le spectateur, par delà la douleur ou le reproche, une sorte d’icône. De quoi faire plaisir au Cardinal Lustiger, qui préfère à l’image l’icône, et à l’icône le sacrement. Il a mille fois raison. Mais dans une perspective d’évangélisation, l’ordre est inverse. Il faut commencer par raconter l’histoire, pour pouvoir contempler un jour le mystère dans l’icône et finalement le vivre dans le sacrement.

Il y a aussi le regard de Satan.
Tout le monde n’apprécie pas cet androgyne énigmatique. C’est pourtant une manière de signifier qu’il y a dans cette histoire un personnage pas comme les autres. Cela aussi c’est johannique : « Vous avez le Diabolos pour père, il était homicide et menteur depuis l’origine. » Je pense que la contestation sur ce point est plus théologique qu’artistique. Il n’est pas bien vu aujourd’hui d’affirmer l’existence de Satan. Mel Gibson le situe pourtant de façon très juste, à mon avis. Il n’est ni absent, ni omniprésent. Il n’agit pas directement, on ne peut pas se décharger sur lui de notre responsabilité. Mais il tisse en silence les liens invisibles du mystère d’iniquité.

Au début du film, il est chargé de révéler en creux l’enjeu de la Passion. C’est le seul moment où il prend la parole. Cette scène du Jardin des Oliviers a échappé à la majorité des commentateurs, alors qu’elle est essentielle. Satan essaie de dissuader l’Agneau de porter le péché du monde. Puis-je poser une question moi aussi ? Je voudrais être sûr que derrière la contestation du film de Gibson, derrière cette levée de boucliers qui a pris des proportions si énormes qu’elle en devient ridicule, il n’y a pas l’obscure crainte que des gens puissent y rencontrer l’Agneau de Dieu, le Dieu Agneau.

Un mot pour finir ?
C’est le mot du commencement, la toute première image du film, une phrase sur fond noir avant que la musique commence : C’est par ses blessures que nous sommes guéris.

Original de ce texte sur ce lien : http://perso.wanadoo.fr/foyer.clv/unefoi_1000/gibson.html

 

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